Nous vivons un moment historique. Pour la première fois, sans doute, dans l’Histoire de l’Humanité, une grand part de la planète vit confinée. La COVID-19 a profondément et durablement changé notre rapport au monde et aux autres, et, depuis mon cabinet, ce que je constate ne me plaît guère.
Elle a 19 ans. Nous l’appellerons Noémie. Sa mère a pris rendez-vous car Noémie ne souhaite plus sortir de sa chambre, elle « s’étiole » pour reprendre ses propres mots. Cela dure déjà depuis quelques semaines. Peu à peu, le goût qu’elle avait pour les choses semble s’effacer. Effectivement, lorsque je la reçois, je me trouve face à une jeune fille qui semble éteinte, qui regarde ses pieds, ne répond que par monosyllabes. Nous arrivons néanmoins à tisser un fil de discussion qui lui permet d’exprimer certaines choses : sa peur au quotidien, cette peur diffuse liée à une actualité anxiogène, ce masque qu’elle a de plus en plus de mal à supporter, les sourires qu’elle ne voit plus, ces activités qu’elle ne fait plus, les journées passées devant Zoom pour suivre les cours de la fac. Elle me dit sa crainte de voir les choses perdurer, de ne plus connaître cette vie d’avant où elle avait, justement une « vie ». A quoi bon vivre masquée, sans rien faire m’explique-t-elle…
Des jeunes gens comme Noémie, j’en reçois de plus en plus en cabinet. Alors que décembre est, pour l’hypnose, souvent le mois des « arrêts de tabac », j’en ai fait très peu, remplacés qu’ils étaient par des cas de personnes rongées par le stress, par une peur du lendemain, par une anxiété manifeste, par un usage important de stupéfiants.
Extra-moderne solitude
Les temps que nous vivons sont des moments particuliers. Ils mettent à l’épreuve notre capacité de résilience, notre capacité à faire face à un ennemi invisible et pourtant omniprésent. Récemment, une étude alarmante montrait une augmentation de 30 % de la détresse globale des étudiants et une multiplication par deux des troubles anxieux, dépressifs, et des pensées suicidaires.
Ce chiffre doit nous alarmer, surtout lorsqu’on le met en regard avec le fait que 75 % des pathologies psychiatriques qui se déclenchent à l’âge adulte trouvent leurs origines dans des situations vécues entre 16 et 25 ans. Manuel Tunon de Lara, président de la Conférence des présidents d'université, estimait qu’un tiers des étudiants montrait des signes de dépression. Se dirige-t-on vers une génération « sacrifiée » ? Je ne le sais pas mais les indicateurs, s’ils ne sont pas encore au rouge vif, sont déjà à l’orange foncé…
Alarmante, la situation a de quoi l’être surtout lorsque l’on met ces chiffres en regard de l’état du système de santé étudiant : la France est le pays d’Europe qui investit le moins dans ce domaine et il faut, à Paris par exemple, quatre mois d’attente pour avoir un rendez-vous dans une Bureau d’Aide Psychologique Universitaire.
Récemment, le Président de la République a instauré un « chèque psy » qui devrait permettre un meilleur accès aux étudiants les plus précaires à un suivi. Mais ce chèque ne va pas résoudre l’engorgement des structures psychiatrique et psychologique française.
Les thérapeutes ont un vrai rôle à jouer, dans cet accompagnement, cette politique du mieux-être qui peut permettre à toute une population de ne pas sombrer. Car ne nous y trompons pas, si je parle ici des étudiants, il y aurait beaucoup à dire sur les personnes âgées isolées, sur les chefs d’entreprises qui voient le travail de tout une vie leur échapper… C’est toute une société qui se trouve être ébranlée par la maladie.
Je vois, depuis mon cabinet, toutes les strates de ces populations fragilisées, en attente de lendemains meilleurs, de lueurs d’espoirs dans la pénombre du présent. Quand bien même il n’y ait pas de nuit qui n’ait son aurore, les mois que nous vivons laisseront une marque indélébile dans notre société.
Noémie va mieux. Elle retrouve goût à la vie et le travail qu’elle a entamé porte ses fruits. Mais combien d’autres Noémie risquent de rester sur le bord du chemin ?
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